« Ce qui compte fut d’abord un cahier, fait de toutes sortes de papiers, de photos, et de certains de mes textes ; poésie, lettres et messages ou études universitaires, tous cherchant à saisir comment l’affect imprime et conditionne la relation à l’art, particulièrement quand il ressortit au désir sexuel, au deuil, à la mélancolie. C’est au travers du filtre psychanalytique du transfert et de l’introjection qui permettent de penser le lien, celui qui relie et étrangle, et de faire l’archéologie de la dés-identification dont procède l’identité, que l’art est ici regardé. Pour sa médiation entre le soi et l’autre, leur différence que marquent inlassablement, comme autant de récits de vie, la naissance, la mort, l’amour perdu. La matière de Ce qui compte est le nombre, la valeur qu’il ordonne et le grain du temps qui passe. L’anglais en traduit le sens par le verbe et le nom : « matter » aussi bien que « count ». Sa structure tripartite répète et transforme l’obsession, éthique et politique, de demeurer vrai pour soi-même tout en acceptant d’exister comme l’autre des autres, le jeu des masques qui cachent le besoin impérieux d’écrire et de faire trace : 1) « Transcrire » ; 2) « Ecrire »; 3) « Réécrire » (…) S’y enracine une généalogie des savoirs et des savoirs-faire, entre intellection et émotion, pour entendre ce que l’œuvre d’art et/ou l’artiste réactive(nt) d’histoires de désirs et de sentiments, fussent-elles, récentes ou plus anciennes, primordiales et archaïques, vécues, fantasmées. Vécues car fantasmées. Comment cela in/dé-forme-t-il le regard sur l’objet? Qu’est- ce que l’objet affecté par le sujet continue de dire de lui-même ? Qu’est-ce que, en retour, l’objet affecté dit du sujet, ou contredit, interdit chez lui ? En quoi objet et sujet s’affectent-ils mutuellement et comment ce rapport détermine-t-il ce qu’il peut y avoir à connaître ? (...) ».
“Initially a material object composed of all sorts of papers, photographs, drawings and personal texts – be they poetry, letters and messages, or academic analyses – Ce qui compte fathoms out the modes through which “affects” work through and condition one’s relation to art, especially when these affects weave together sexual desire, mourning and melancholy. A mediation between the self and the other – whose differentiation is repeatedly punctuated by one’s life narratives of birth, death, and the loss of love – art is hereby viewed through the particular psychoanalytical lens of transference and introjection which permit the conceptualization of bonding, binding and the archeology of “disidentification” in identity formation. Translating as much as “What Matters” as “What Counts,” Ce qui compte is organized in three parts or movements that repeat and transform this obsession – the ethical and political requirement of being true to oneself while accepting to exist also as the others’ other – masquerading under the guise of the urge to write and leave a trace: 1) “Transcrire” (“Transcribing”); 2) “Ecrire” (“Writing”); 3) “Réécrire” (“Re-writing”) (…) From such a perspective, that articulates intellection and emotion with knowledge production, be it theoretical or practical, Ce qui compte questions the work of art – pondering the working-through of desire and feeling, past and present, primordial or archaical narratives resurfacing with the touch of art and of the artist, actual and/or imagined. Real as possibly fantasized. What is being (un)made in the onlooker’s gaze, the affective subject? What, in the object thus looked at, is being transformed and meanwhile still being said about itself? What, as the loop is closing, does that object disclose, enclose, or foreclose in the subject? How do object and subject, in their mutual inclusion, affect each other, and for which surplus of knowledge to foresee? (...)”
L'auteur
Depuis sa thèse de doctorat (2001, Université Paris IV-Sorbonne) consacrée à l’œuvre de James Baldwin, la recherche de Jean-Paul Rocchi a toujours eu pour axe central l’identité et plus particulièrement l’articulation des identités raciales, genrées et sexuelles, telles que le texte littéraire américain contemporain les porte et les affronte aux textes théoriques, notamment ceux de la psychanalyse freudienne et, plus largement, des théories du sujet. Cette double perspective, thématique et théorique, s’est, après la thèse et pendant une maîtrise de conférences à l’Université Paris-Diderot, élargie aux héritiers en littérature de Baldwin, notamment les auteurs noirs et queer américains des années 1990, dans le contexte particulier de la crise esthétique, politique et identitaire générée par l’épidémie du sida. A partir de 2008 et des questions suscitées par la réception de ces travaux, s’est ajoutée à cet élargissement une nouvelle thématique : celle de la réception, des conditions de la production scientifique, de la cartographie disciplinaire et du rôle qu’elle peut jouer, particulièrement en France, dans la marginalisation de certains champs du savoir, notamment ceux dits « subalternes ». Ces questions sont aujourd’hui rassemblées dans la thématique de la transdisciplinarité, organiquement reliée aux enjeux épistémologiques initiaux de ses travaux sur l’identité. C’est dans cette perspective transdisciplinaire et intersectionnelle que Jean-Paul Rocchi a récemment codirigé les quatre ouvrages collectifs suivants : Understanding Blackness through Performance—Contemporary Arts and the Representation of Identity (Palgrave-Macmillan, 2013); Black Intersectionalities—A Critique for the 21st Century (Liverpool University Press, 2014); Black Europe: Subjects, Struggles, and Shifting Perceptions (Palimpsest, A Journal on Women, Gender, and the Black International, SUNY Press, 2015); and Black and Sexual Geographies of Community-Building (Sexualities, SAGE Publications, à paraître en 2016/2017). Il prépare actuellement une anthologie de ses essais intitulée The Desiring Modes of Being Black: Essays in Literature & Critical Theory à paraître aux éditionsRowman & Littlefied International en 2017. Jean-Paul ROCCHI est Professeur de Littératures et Cultures Américaines à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, membre du Laboratoire LISAA (UPEM) et Directeur adjoint de l’Ecole Doctorale « Cultures et Sociétés » d’ Université Paris-Est.
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Ce qui compte
Jean-Paul Rocchi
In Myron M. Beasley (dir.). On Contemplation. Liminalities, A Journal of Performance Studies, 12: 2, 2016.
ISSN : 1557-2935
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